Blog

Les premières leçons de l'épidémie COVID-19

Les premières leçons de l'épidémie COVID-19

Posté le vendredi 27 mars 2020 à 19:30:17

Fin décembre 2019, quelques entrefilets dans la presse rapportaient l'apparition de pneumonies atypiques à Wuhan en Chine. Très vite, j'ai été amené à suivre ce qui devait devenir deux mois plus tard une des plus puissantes pandémies depuis un siècle, allant régulièrement à Hefei, dans la province voisine pour collaborer sur la fusion thermonucléaire. Chaque jour, je regardais les nouvelles en France et l'inquiétude montait d'abord pour mes collègues chinois, qui se voulaient rassurants, mais je sentais à leur voix une sourde inquiétude. En à peine un mois, les choses prirent une ampleur sans précédent, et le 23 janvier 2020, la Chine plaçait en confinement Wuhan et la province d'Hubei, des dizaines de millions d'habitants, mais aussi d'autres villes importantes. La plupart des gens, qu'ils soient à Hefei ou Chengdu, étaient forcés de rester chez eux, en famille, souvent dans de petits logements, après le nouvel an chinois. Les quelques contacts que j'ai maintenus sur place, par amitié et solidarité principalement, m'ont montré très tôt l'ampleur du problème, et chaque jour j'allais chercher les infos dispersées à gauche à droite sur le sujet. Les ronds rouges de la carte produite par l'Université John Hopkins aux Etats-Unis ne cessaient de grandir, et surtout de se multiplier au quatre coins du globe. Nous vivions encore dans une douce euphorie en France, bercé par les mots rassurants de notre ministre de la Santé... qui devait se douter du danger, inévitablement avec tous les spécialistes éminents (les meilleurs au monde...) dans le domaine de l'épidémiologie. Et puis brutalement, les choses vinrent à empirer avec les annonces inquiétantes venant d'Iran. Alors que la tension diplomatique était à son comble, avec le drame de l'avion abattu par erreur et des nombreux mensonges d'état à ce sujet, des signaux alarmants indiquaient que l'épidémie de COVID-19 faisait rage aussi là-bas. Mais l'Iran c'est loin, l'Iran est ostracisé avec son gouvernement médiéval de mollahs, et donc cette apparition subite de la maladie, loin de la Chine, ne pouvait être qu'une péripétie malheureuse mais non pertinente pour nous occidentaux et français en particulier, et que l'on pouvait incriminer facilement à un sous-équipement des hôpitaux sur place, conséquence fâcheuse mais peut-être méritée d'un dur blocus du pays, suite à ses ambitions militaires dans le nucléaire. C'était méconnaitre l'Iran qui est un pays moderne sous bien des aspects, certes corseté par un régime religieux plus que contestable, mais un pays moderne quand même, avec un haut niveau d'éducation. Les prendre pour des ignorants à propos de cette épidémie fut l'erreur fatale touchant tout l'Occident en un mois, et bientôt probablement le monde entier. C'est dommage, car même si les chiffres fournis par l'Iran sont parfois discutables, ils montrent réellement des tentatives d'endiguement, qui, au jour où ce billet est écrit, nous auraient été bien utiles. Mais c'est ainsi, la France, et de nombreux états européens sont tournés sur leur nombril avec suffisance, et la claque reçue par l'Italie fin février n'en fut que plus cinglante. A cette époque, notre cher Président, en parfait benêt, prônait d'aller comme lui au théâtre, un vrai Mac Mahon de l'épidémie... pas glorieux. On aurait pu croire que derrière cette façade apaisante, l'état nounou dans lequel nous baignons quotidiennement jusqu'à la nausée, était déjà aux aguets, fourbissant ses armes contre ce virus discret et virulent à force de masques, de gels hydro-alcooliques et autres respirateurs. Mais, non, rien, la ligne Maginot sanitaire dressée par l'excellence de nos pouvoirs publics et les roitelets de la science bardés de légions d'honneur devait être impénétrable, on nous l'a bien dit et redit. Fin février, il était clair, que le COVID-19 avait franchi nos frontières, et l'étape 2 de l'épidémie fut décidée avec un chouette coup de menton, le virus allait en baver... Rien cependant n'allait l'arrêter, mais tout préparait un triste scénario, alimenté par une ignorance crasse et bien entretenue du bon peuple. En tant que citoyen, j'aurais aimé voir des scientifiques sortir de leurs laboratoires, nous expliquer, courbes mais surtout chiffres à la main, ce qui était en train de se passer, et quelles étaient les options et les actions à mener à toute vitesse. Rien. Des propos lénifiants de pseudo-spécialistes de plateaux télé. Lavez-vous les mains, mouchez-vous dans votre coude, et évitez d'être proches de vos congénères, mais sortez au théâtre... Face à cette farce grossière, j'ai développé en un soir cet outil accessible sur mon site, pour voir on en était. Les chiffres étaient implacables, et les mensonges d'état explosaient. J'ai averti mes proches de la situation et des conséquences exceptionnelles si les choses devaient en rester ainsi longtemps. J'avais conscience de passer pour un doux dingue, mais bon, je jugeais, au vu de mes calculs, que la situations devenait très grave. J'en ai parlé à mes collègues chinois qui m'ont soutenu. J'en ai parlé à mes collègues français qui m'ont soutenu aussi et étaient avides de savoir la réalité, sombre réalité. Frustrés de ne rien savoir par les médias. Quelques experts médecins furent très critiques. Qu'un physicien puisse s'arroger le droit de sonner l'alarme sanitaire sur la foi des séries géométriques... la bonne blague. Quelques soutiens discrets cependant que je n'oublierai pas, mais beaucoup de haussements d'épaule. C'est une grippette, tu paniques pour rien, on ne te reconnait pas... J'aurai pu me tromper, mais je simulais les cas de la Chine et de la Corée du Sud si bien, que je ne doutais pas de la robustesse de mes calculs. Certaines suggestions ont été tout-à-fait à propos sur l'importance du nombre de cas cachés, et j'ai pris en compte cela en ne me fiant qu'aux nombre de décès. De fil en aiguille, les choses tournèrent comme je les avais annoncées. Dans la panique, je reçu quelques appels pour me demander de prévoir l'avenir - je ne suis pas devin, et s'il fallait faire des provisions rapidement. J'acquiesçais, surtout pour éviter la cohue le jour où les mesures de confinement, inévitables, seraient annoncées. Et de jour en jour, je voyais ce que je prévoyais avec une ou deux semaines d'avance se réaliser, comme la durée du confinement, la fermeture des frontières faute d'immunité collective, etc. Pas besoin d'être un expert es-épidémiologie pour comprendre cela, il suffit de lire Wikipedia®, et de savoir faire une addition et une multiplication. Très vite, je compris que la belle stratégie française était celle de la pénurie, de l'impréparation. J'étais et je suis très en colère contre ces politiques incompétents qui noient le poisson, et aussi les scientifiques complices par leur silence ou leurs explications à quatre sous. Au moins, l'emblématique directeur de l'IHU de Marseille a eu le courage de lever la voix, et de faire quelque chose face à ses professeurs de tout bord, experts en silences et compromissions. Tout cela me fait penser à cette France de 1940, celle décrite avec tant d'acuité par Marc Bloch, cette Etrange Défaite... La France des médiocres, prêtes à sacrifier, au non d'une supériorité minable (on a le meilleur système de santé au monde... no comment...) le personnel médical courageux et dévoué ainsi que toute son économie avec. La politique spectacle en France a toujours ses dévots, et le roitelet à la pensée complexe (il faut être un imbécile fini pour écrire cela) a montré à cette occasion l'étendue de son incompétence. On s'en doutait, mais c'est maintenant une certitude. Il finira sans aucun doute dans les poubelles de l'histoire. Il est maintenant tard pour agir, sauf par un confinement médiéval sous plein d'aspects. Les leçons ne viennent pas d'Europe, et encore moins de France, mais d'Asie, de Russie et de Cuba, ce qui est pour le moins vexant quand on est citoyen de la 5ème puissance mondiale... J'ai honte, non pas que les experts de ces pays viennent nous aider, mais que l'on ait pris de haut cette affaire si grave. Il y aura certainement des comptes à rendre après la bataille, et cela sera mérité. En attendant, chaque jour depuis début mars, les chiffres de l'épidémie confirment la pertinence du modèle basique que j'ai développé et annoncent des jours plus sombres. Les seuils des 100 puis 1000 morts ont été franchis avec précision les jours dits, et j'attends pour les 10000, dans une macabre comptabilité quotidienne. Restez chez vous, allez voter, voilà un beau slogan politique... validé par un comité scientifique ne voyant pas l'intérêt des personnes, car derrière les chiffres, ce sont des vies, des vies perdues, des vies brisées. Et chaque vie compte. L'incapacité d'envoyer des messages clairs, la confusion générale des consignes jettent la lumière sur le paquet d'incompétents et de trouillards au sommet de l'état dans une bureaucratie gangrénée jusqu'au trognon. Nous sommes soit-disant en guerre, mot malheureux à mon sens, mais sans chef avec certitude. Maintenant que la tempête s'est levée, qu'il faut faire face à une déferlante puissante qu'on aurait réellement pu arrêter bien avant, ou tout au moins contenir fortement tout en protégeant population et soignants avec des moyens modernes accessibles, compréhensibles et pouvant être mis en oeuvre rapidement comme en Corée du Sud, il faut courber l'échine, jouer dans la compassion, l'émotion, cette qualité si déviante quand elle devient la boussole des dirigeants. Et attendre, en essayant de sauver le plus de vies possibles, avec parfois les moyens du bord. Le pic de l'épidémie arrivera tôt ou tard. Mais il sera difficile de sortir du confinement du jour au lendemain, car tous les chiffres ainsi que la réalité en Asie montrent la fragilité de la situation sanitaire au terme de cette période. Une deuxième ou une troisième vague épidémique seront très probables. Il faudra fermer des frontières, isoler des régions contaminées pour que l'activité économique puisse reprendre ailleurs. Il faudra expliquer cela, que le confinement durera longtemps. A force de prendre les gens pour des idiots, on finit par les rendre enragés. Le devoir des sachants et des gouvernants est d'informer les citoyens pour ne pas les transformer en sujets. Tout le monde est capable de comprendre la réalité de la situation. Tout le monde est capable de suivre une évolution exponentielle si celle-ci est bien expliquée. Mais que les journalistes idiots arrêtent de parler de chiffres qui bondissent d'un jour à l'autre, car c'est simplement faux, les évolutions peuvent toutes être prédites à très court terme ! Mais cela entretien l'émotion, le stress, l'angoisse... et les faux experts se gargarisent de conseils, sur la foi de ces nouvelles mal présentées. A l'heure où j'écris ces lignes, l'Italie commence à voir le bout d'un premier tunnel. Tant mieux pour eux, ils en ont bien bavé. L'Europe a été d'une silence assourdissant sur l'aide fournie. Si celle-ci fut donnée discrètement, il vaut mieux que les institutions européennes le fasse savoir très vite, car sinon, le rêve européen se sera brisé sur le COVID-19. Maintenant qu'il nous reste le charme d'être claquemuré, on peut réfléchir aux aspects sociologiques de cette affaire, et ce sera un autre billet. Bon courage. Et ne comptez que sur vous. ...

Retour

[+3944]     [+89]     Partager: